Ange mon ange
- Jean Marck Konan
- 4 mai 2017
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 22 mai 2018

C’est une année sabbatique, celle de la maturité de notre couple qui vient de poindre. Voilà sept ans qu’Ange et moi nous sommes passés les anneaux aux doigts à la mairie d’Adjamé. Ensuite, à l’Eglise Méthodiste Unie d’Adjamé 220 logements. Au son de l’orchestre de la paroisse. Par des promesses pleines d’amour et de fidélité. Devant mille convives, heureux d’être les témoins oculaires de notre destinée. Devant mes beaux-parents, fiers de voir leur fille vaincre enfin la malédiction qui tient captives ses aînées. Devant ma mère pour qui je demeure le seul vrai don du ciel, son unique que la terre impitoyable ne devait engloutir. Ange et moi pour la vie !
C’est une année sabbatique pleine de ressouvenirs. Combien de peines, de luttes n’avons-nous pas enduré pour préserver notre union ? Le mépris des uns, l’adversité des autres. L’hypocrisie des nôtres, les épreuves, les disputes, les méfiances, les jalousies, les rancunes. Mais au-delà de tous ces rififis qui ont secoué notre couple, notre amour s’est fortifié et a mûri. La vie de couple est un perpétuel recommencement qui offre à la raison humaine des raisons de gémir, de se plaindre face à la monotonie quotidienne. La nôtre est parvenue à se parfaire au fil des jours. Ange n’est certes pas une icône de la beauté mais pour moi, elle reste une beauté unique. Elle a toujours été pour moi une aide précieuse, toujours là afin de combler mes carences et me modeler. Les carences, j’en ai eues : bavard et orgueilleux. Je ne manquais jamais d’offenser mes amis. Ringard dans mes sapes, et marchant la tête courbée. Ange m’a tout donné : la douceur et l’humilité, l’élégance et la personnalité, mais aussi et surtout la foi en Christ notre sauveur. La foi en un Dieu fait homme. Ange m’en avait parlé dès notre rencontre. En ce temps-là, je la croyais trop niaise pour croire tout ce qu’elle disait. Je me disais qu’elle délirait sans doute tout, comme tous ces adeptes des églises. Cependant, pour lui faire plaisir, je me rendais les dimanche dans sa communauté. Le temple si magistralement dressé me fit laisser la première fois ce dépit ‘‘ quelle gabegie’’ ! A présent, tout a changé. Mon cœur incrédule s’est métamorphosé. Dieu est devenu depuis mon fidèle compagnon que je consulte dans toutes les circonstances de ma vie et c’est lui qui conduit notre union. J’aime Ange et elle m’aime !
C’est un bonheur sans fin qui commence avec la naissance de Jehojada. Notre fils premier-né. Un fils comme nous l’attendions depuis sept ans. Un fils qui apportera de la coloration à notre maison. Un fils qui grandira en stature et en sagesse et qui sera bercé de cantiques religieux. Jehojada pour dire merci à Dieu. Jehojada pour exprimer notre fierté d’avoir un jour nos descendants à nous, Ange et moi !
C’est une lutte sans fin qui commence pour notre petit Jehojada. Les cris qu’il pousse en sortant du ventre de sa mère témoignent qu’il est conscient que la vie ne lui fera pas de présents. Le cordon ombilical qui a été rompu à sa naissance montre qu’il devra ramer seul, sans soutien dans ce monde inconnaissable, apprendre à se forger au gré du temps l’expérience adéquate pour réussir là où d’autres ont échoué. La vie est un ring où parfois on peut ne jamais se relever du premier coup que l’on reçoit. Comme j’aurais tant voulu que les horreurs de ce bas-monde lui soient épargnées. Mais c’est un homme. Il s’en faut qu’il apprenne à lutter, à démêler les pièges qui lui seront tendus. Car la vie est faite de situations compromettantes qui exigeront de lui de la prudence, de l’intelligence, de l’endurance et surtout de la foi et de la consécration au Divin. En avant mon petit Jehojada !
C’est une course sans fin tel un cycle ininterrompu dont le signal vient d’être donné pour Jehojada. Point n’est besoin qu’il soit corpulent ou maigrelet. Il lui faudra chausser les baskets de l’agilité et de la détermination, fixer droit sa destinée au prix de bousculades, de résistances, de rivalités car comme moi, il devra à son tour un jour passer le relais à d’autres générations issues de lui. A tes marques, mon petit Jehojada !
C’est une situation troublante que nous vivons. Voilà sept ans qu’Ange est malade et a vu sa santé se porter de mal en pis. Plusieurs fois, nous avons été contraints de célébrer le réveillon, le nouvel an ou la pâques dans les hôpitaux. Grâce à une chaîne de prières du Mouvement Charismatique de la paroisse, nous trouvons la force de croire que demain sera un autre jour.
C’est une maladie sans issue qui prend fin avec la naissance de Jehojada. Ange est morte. Elle s’en est allée sans mot dire, les mains dans les miennes, sur le lit clinique, en me laissant dans l’effondrement total, et mettant ainsi un terme à sept années de vie commune. Les larmes qui ruissellent sur mes joues attestent qu’elle va vraiment me manquer. Sa pensée déjà me hante. Ange dans ses pendentifs dorés, ses tenues au style Akissi Delta, ses robes et talons fleuris. Douloureux divorce qui s’impose à moi. Toutefois, malgré toute ma douleur morale, je me réjouis que la mort l’ait enfin libérée de la captivité de cette horrible maladie qui malheureusement a eu raison d’elle. Sept ans qu’elle me savait séropositif. Sept ans que son amour pour moi n’avait rien perdu de son éclat. Sept ans qu’elle avait mené auprès de moi le combat de ma guérison jusqu’à en succomber et à subir plus que moi les affres du virus du fait de sa santé déjà précaire. Dans le nouveau monde qui t’accueille pour ton amour incommensurable, dans la terre qui te reçoit pour ton héroïsme en attendant qu’un jour mon heure ne sonne, Ange mon ange repose en paix !
Comments