Ma conseillère matrimoniale
- Jean Marck Konan
- 17 juil. 2017
- 5 min de lecture

Georges Akaffou, ce soir, m’avait encore battue. Comme les précédentes fois. Mais cette fois d’une manière inhumaine, cruelle. Avec tant de brutalité, tant de mépris, tant d’indifférence, et devant toutes ses bonnes âmes qui lui criaient pitié, il était resté sourd. Cela faisait plus d’une fois, la même semaine qu’il déployait sa force redoutable et herculéenne sur ma pauvre et chétive chair, déjà meurtrie de ses fouets antérieurs. Je portais sur tout le corps les marques indélébiles de ses sauts d’humeur. Mon mariage que j’avais cru être un bonheur sempiternel, et contre lequel s’était insurgé mon père s’était mué en un quotidien infernal où je buvais, chaque jour, au goulot des coupes d’amertume.
Après deux ans et demi de vie commune faite de brillants soleils, Georges avait radicalement perdu les traits de l’homme moderne, doux et attentionné que j’avais épousé, et qui m’avait poussé à me rebeller contre mon géniteur. Il était plus que jamais méconnaissable à présent. Tout l’irritait, le cadre familial, notre belle petite fille Sarah, et surtout ma personne, ma voix, mon parfum, mon image, mon nom. Tout l’irritait je ne savais trop pourquoi. Que lui avais-je fait ? Méditais-je constamment en larmes de l’aurore à l’aurore, du crépuscule au crépuscule.
Il avait fini par faire de la rue sa seconde épouse, car il y passait toutes ses soirées à sa rentrée du service, et il s’en séparait si difficilement qu’il venait s’en prendre à moi, même endormie, question d’évacuer le retour de ses humeurs hirsutes. La cigarette et la boisson en étaient venues à être sa ration quotidienne, selon le témoignage de certains de ses amis qui me manifestaient leur compassion.
Georges ne m’aimait vraiment plus. Pire, il me haïssait. De toutes ses forces. De toute son âme. Dans ses yeux en flamme, je mesurais toute l’intensité de haine qu’il nourrissait contre moi. Pourtant, je m’étais toujours efforcée d’être une épouse vertueuse, ayant accumulé dès mon jeune âge, les compliments qui auraient dû me destiner à un avenir exempt de déboires, rendant à mon homme le respect dû à son rang de chef de famille mais également d’époux. Ses assauts répétés contre ma dignité de femme et d’épouse aurait pu me convaincre d’en finir pour de bon avec cet esclavage des temps modernes en mettant un point final à notre relation, et en rejoignant les miens que je n’avais plus revu depuis mon mariage, eux qui ne se doutèrent de rien.
J’aimais Georges. De tout mon cœur. Comme aux premiers jours de notre rencontre. Et c’était cela la raison de mon attachement. Je m’étais mariée pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur, j’en avais touché les sommets auprès de lui, au temps de sa douceur. Et allais-je l’abandonner à ce moment où il paraissait si faible, si peu lucide, si incompris par lui-même et par les autres ? Non, je ne le pouvais. Le pire, effroyable soit-il, je voulais l’affronter avec courage et foi au nom de l’amour, l’amour qui excuse tout, pardonne tout, supporte tout.
Mes longues journées de méditation me rendaient, désolées, leur écho de silence, impuissantes comme moi de trouver l’inconnu à l’équation de mon couple. Et la situation devenait encore plus délétère, et ma foi se désagrégeait.
Au vu de mes prières qui n’enfantaient aucune lueur d’espoir, il ne me restait désormais plus qu’une solution : recourir à une conseillère matrimoniale, une experte des relations conjugales, qui sonderait les problèmes de mon couple et y apporterait les solutions les mieux indiquées. Je pris une multitude d’adresses, à cet effet, au nombre desquelles je retenus celle d’une certaine Madeleine Ponou. Son dossier me fascina car elle s’était établie dans la profession depuis seulement cinq ans, mais portait à son actif plus d’une trentaine de relations restaurées de par sa médiation. Très vite, j’entrai en contact avec elle. Nos premiers échanges m’émerveillèrent et je repris confiance.
Les débuts furent très difficiles, car Georges n’en voulait pas entendre parler, éludant volontairement les réunions communes que nous devrions avoir avec elle. Plusieurs fois, il l’avait sommée de quitter son domicile, la traitant de persona non grata. Une autre fois, il avait tenté de lui porter main, mais je m’étais interposée. Il considéra cela comme un affront, et m’administra une fois qu’elle s’en fut allée un châtiment corporel des plus sévères qui soient. Il menaça même de me répudier, et défendit Madeleine Ponou de remettre les pieds chez lui. Tout cela ne nous dissuada pas. Ma conseillère n’éprouva aucun ressentiment à son égard. Sa chaleur resta intacte, me rassurant que mes peines prendraient bientôt fin, et qu’il ne fallait jamais me laisser vaincre par le désespoir. Elle allait m’aider à redresser le navire de mon couple qui chavirait, peu importe ce que ça lui coûterait.
J’admirais sa disponibilité. Elle était là, de nuit comme de jour quand j’avais besoin d’elle, pour essuyer mes sanglots, panser mes blessures physiques, m’orienter dans mes résolutions, m’aider à tout supporter. J’étais consolée de savoir que je n’étais plus vraiment seule dans ce combat, cette lutte infinie pour la survie de mon couple. Madeleine était là. J’avais des amies d’enfance à qui j’exposais par moments les déboires de ma vie conjugale, mais Madeleine Ponou était plus qu’une amie. Elle était une sœur, ma sœur.
Par son art, et sa détermination, les choses prirent un autre ascendant. Georges accepta un soir, à la suite d’un long échange que nous eûmes, d’offrir une chance à notre couple et de se plier à la médiation de Madeleine. Désormais, il m’accompagnait à chacun de nos rendez-vous à son cabinet, ou acceptait de la recevoir chez nous. Il lui ouvrit son cœur et elle y rangea ses recettes miracles.
Petit à petit, le printemps renaissait dans mon couple. Je sentais mon homme, mon cher Georges redevenir le Georges d’il y a des années. Sa douceur, ses valeurs lui revinrent. Il regretta tout le supplice infligé à ma personne, et s’en voulut énormément de m’avoir tant fait souffrir. Il voulait se racheter, rattraper à présent le temps perdu. Il renonça au tabac et à l’alcool. Il donnait de tout son temps libre à sa famille, à l’éducation de notre fille, Sarah redevenue sa déesse et à moi sa tendre épouse. J’étais fière de lui, fière qu’il se soit remis de cette période trouble, fière que notre relation ait survécu contre vents et marées.
A l’égard de Madeleine Ponou, j’avais un devoir de reconnaissance. Grâce à ses conseils, son soutien infaillible, je pouvais maintenant sourire. Mon couple était passé de la mort à la vie, une résurrection impensable et ce, grâce à elle, grâce à son professionnalisme, grâce à ses qualités d’humaniste. J’avais autrefois des appréhensions au sujet des conseillères matrimoniales, mais j’étais totalement convaincue désormais que cette profession est noble, quoique plusieurs en édulcorent l’image. Madeleine Ponou n’était point une conseillère matrimoniale appâtée par le gain. D’ailleurs, elle n’avait rien exigé de moi que de la confiance. Elle était une femme spéciale, une vraie professionnelle. Et les résultats de ses missions l’attestaient incontestablement. Elle avait su me redonner mon Georges, et ce jusqu’à la mort, la seule qui pouvait se permettre de nous désunir. Telle, hélas était la conviction qui logeait naïvement dans mon esprit. Car le destin aux voies insondables en décida autrement cet autre soir du 17 novembre… En rentrant de la messe, je découvris une lettre que Georges avait délibérément laissée saillir sur la grande table à manger. Je m’empressai de la lire. Ses premiers mots m’intriguèrent. « Le cœur a ses raisons que la raison elle-même ignore ». Je poursuivis puis m’ébranlai. Sans mots. Sans comprendre pourquoi. Seules avec mes larmes, et ma fille qui venait de me rejoindre. Qui sans savoir pourquoi, se mit elle aussi à verser des larmes. Georges son père, nous quittait. Elle et Moi. Cette fois pour de bon. Pour toujours. Nous demandant de lui pardonner de nous faire à nouveau mal. Et qu’il aurait tant voulu passer le restant de sa vie avec nous. Mais qu’indépendamment de sa volonté, sans qu’il ne s’y soit préparé, son cœur s’était entiché d’une autre, d’une plus jeune avec qui il vivait depuis quelques mois une heureuse liaison sécrète. C’était ma conseillère matrimoniale, mon amie, ma sœur devenue ma rivale.
Jean Marck Konan, L’Autel des Cœurs Brisés, Matrice Editions
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