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Ta grâce me suffit

  • Photo du rédacteur: Jean Marck Konan
    Jean Marck Konan
  • 11 mai 2018
  • 4 min de lecture


13h moins quatre minutes. Je n’ai pas le temps d’attendre l’heure pile. Je le sais ma pause réglementaire est à 13h. Mais l’urgence ce jour vaut la peine que je fasse table rase des quatre petites minutes. Je me remets mes baskets. Vous le devinez, je suis resté nus pieds toute la matinée. La raison, une horrible odeur sortie de je ne sais quelle contrée et venue se blottir dans mes bottes à la faveur de cette pluie. Ah cette pluie, à peine a-t-elle commencé son règne que je voudrais sa fin immédiate. Deux jours auparavant, elle m’avait fait élire domicile chez un revendeur d’ordinateurs d’occasion, et pire de sa terrasse, je m’étais retrouvé dans le bureau des collaborateurs. A vrai dire, c’est moins la gourmandise de vouloir lui rafler ses locaux que le souci de me mettre à l’abri non seulement de la pluie mais aussi de la colère des étudiants de la cité de la riviera 2 qui s’étaient armés de machettes, de gourdins, de bois pour en finir avec les pompistes d’une des stations-service. Un épisode qui ne m’apprend rien. Car ici, c’est Abidjan, Abidjan risquée. Bref, venons-en à ma journée de ce vendredi 11 mai.


A peine quelques enjambées que je me retrouve sur le carrefour scrutant les taxis jaunes. Ma destination, vous le saurez bien vite, car j’en trouve un dans lequel j’embarque aussitôt. Une vingtaine de minutes plus tard, me voici devant ma banque à moi, enfin, celle que j’ai commis de servir de pont entre mon employeur et moi. Ces dernières semaines, un cruel désamour semble nous unir. Et pour cause, elle a décidé de me sevrer Ses guichets automatiques complices de cette forfaiture. Après le « problème avec votre compte », je me suis retrouvé laisser entendre que « il n’y a pas de réseau donc pas de travail ni dans les guichets ». Cette fois, tout semble ok. Enfin, je m’en persuade jusqu’à ce que je pénètre l’intérieur. Des dizaines de personnes en attente. Lorsque je retire mon ticket d’ordre, Je découvre que suis à la 132ème position. Je jette aussitôt un regard sur ma montre, il est 13H30. Je fixe l’ordre des numéros, nous sommes à la 54ème personne. Je m’arme de courage car de courage j’en aurai besoin. D’ailleurs, avec mes poches qui ont saigné ces dernières semaines, je ne peux accepter qu’elles vivent la totale crevaison.


Pour laisser passer le temps, je reste scotché à mon Smartphone en tentant de défier le grand maitre d’un jeu de dames. Mes échecs s’enchainent. Je m’en lasse au bout d’une heure. Je lève la tête pour voir l’évolution des choses. Nous sommes encore à la 54ème personne. Je reste ébahie. Quelle lenteur légendaire ! A cette heure de 14h30, j’ai logiquement épuisé ma pause. Mais irais-je sans le « butin ». Je ne peux. Dans l’assistance, des murmures s’élèvent, ça grince les dents. La responsable de l’agence sort. Elle essaie de capter notre attention mais elle le sait, à mesure que les minutes égrainent leurs secondes, nous perdons patience. Elle prend la parole tout de même et nous informe que le service de ce jour est assuré par un seul agent. Ce qui était déjà évident. Elle ajoute que si l’on n’est pas domicilié à ladite agence, on devrait aller dans d’autres agences Dès que je l’entends le dire, je retrouve espoir. Certainement que des places seront libérées et que mon calvaire prendra fin. Illusion. Personne n’ose bouger. Domicilié ou pas, pas question d’aller se jeter dans une autre inconnue. Moi, Je veux y aller mais en bougeant je le sais, je serai certainement à mon troisième échec. Je décide alors de rester. Même s’il est 20h, je toucherai mon dû avant de bouger. J'ai des urgences à gérer. C’est un risque, car de l’autre côté, des travaux urgents m’attendent et ne sauraient me dorloter quelles que soient mes bonnes raisons. Je reste. Pénible décision.


Il est 15h30, le rang a bougé de deux places. Pour rappel, je tiens le dossard 132. Je flâne dans l’enceinte de la banque car n’ayant pas eu de places depuis mon arrivée. Je sens des fissures dans le dos, ma hanche semble me lâcher. Je ne peux malheureusement écourter ma douleur. Pire, je commence à greloter. J'essaie d'être hors de portée de la puissance du climatiseur mobile. Enfin, je trouve un appui pour enfin reposer à moitié mon corps. Près de moi, des femmes ayant l’âge de ma maman qui attendent à la 80 et 86ème place discutent. Je les écoute religieusement. Elles sont d’humeur drôle. Et s’amusent à tourner en dérision la situation. Début d’un échange entre elles et un homme arrêté près de moi. L’homme est là depuis 11h02. Il parait exaspéré mais garde une humeur agréable. Elles lui demandent son sort. Il répond qu’il est à la 59ème position. Ah, me dis-je intérieurement, c’est bien pour lui. Elles extériorisent aussitôt mon soupir. Et blaguent à nouveau : si on pouvait faire échange ça nous plairait o. Puis on se met tous à sourire. Un adulte non loin de nous, se mêle à notre bonne humeur. Lui il est à la 74ème position. Dans tout cela moi je reste silencieux souriant à tout ce qui se dit et se raconte. Mais au fond, ce sourire cache une crainte : à quelle heure rentrerais-je au bureau moi l'agent ? Comment me justifierais-je et est-ce vraiment sûr qu’on me reçoive today ? Je suis en pleine recherche de justifications et de solutions. L’homme à la 59ème place me demande mon rang, je lui réponds que mon ticket va au-delà de 100, il en rit mais pas méchamment. Il me demande ensuite si la banque ouvrira demain samedi, je lui réponds que oui. Mais que je ne peux le faire demain. Soudain, il me demande mon ticket, j’ai bien honte qu’il découvre mon rang mais je me laisse faire. Je sors le ticket, l’homme le prend et je ne sais comment, il dépose dans le creux de ma main de façon discrète et magique un autre ticket me positionnant à la 65eme place. Wow, je n’en reviens pas. Quel bond ! L'homme me susurre à l'oreille que c’est mon jour de grâce. Je reste toujours émerveillé. 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, en moins d’un quart d’heure, je suis au guichet… La grâce a ouvert la voie.


Une fois servi, je ne manque pas d’aller remercier mon bienfaiteur du jour qui est encore dans les locaux. Il ne le sait peut-être pas. Mais ce temps de grâce, je le vis depuis le mois d’octobre et ce, en non-stop.

 
 
 

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